« L’amour en fait ça ne suffit pas. Oui c’est ça, je sais c’est terrible, l’amour ça ne suffit pas » La réunification des deux Corées
Avec un titre pareil, on pourrait s’attendre à un brulot géopolitique ou à une pièce éminemment historique. Pas du tout : La réunification des deux Corées, c’est une métaphore de l’amour entre des êtres qui ne parviennent pas à se réconcilier. Joël Pommerat propose une vision noire mais terriblement belle de l’amour.
La réunification des deux Corées ou l’autopsie du sentiment amoureux
La scénographie est bi-frontale : pour obliger le public à se regarder certes, mais surtout pour symboliser cette frontière entre deux pays, deux mondes et faire du plateau une DMZ bien réelle. Au centre, une quinzaine de situations qui vont venir faire l’autopsie du sentiment amoureux. Parce que dès les premières secondes, c’est une certitude : l’amour est mort. Ou absent. Ou insuffisant. Ou galvaudé, manipulé, oublié, trompé. Avec La Réunification des deux Corées, Joël Pommerat s’aventure d’abord sur le terrain de la souffrance. Et par son écriture qui ressemble à un scalpel triturant les moindres détails d’un cadavre qu’on ne parvient pas à réanimer, il livre les plus infimes détails de situations intimes.
Il y a le couple qui se sépare sans raison, celui qui se détruit par l’espoir, celui qui se consume d’interdits, les histoires d’amour trahies, trompées, jamais réalisées ou trop épuisées. Il y a ces communications impossibles ou rompues, celles coincées dans l’illusion et ces relations humaines, même amicales, conçues sur des mensonges ou des interprétations différentes. Joël Pommerat joue et se joue de la complexité humaine, des insécurités de chacun et des idées préconçues. Parce que si l’amour semble autopsié, il n’en demeure pas moins toujours vivant. Dans la dignité de certains personnages, dans leur force intérieure, (comme ce professeur qui déclare avec passion aimer ses élèves ou cet homme qui continue à rendre visite à sa femme amnésique), dans leur courage aussi. Dans les interstices de noirceur se cachent des flammes qui refusent de s’éteindre et ces flammes sont souvent à puiser au fond de soi.
Au-delà d’une interprétation absolument remarquable, la scénographie est une réussite manifeste. Les créations lumières sont extraordinaires et habillent ou déshabillent parfaitement ces âmes errantes qui défilent dans ce no man’s land théâtral. Les transitions laissent peu de place à la respiration et la Réunification des deux Corées peut vite devenir une pièce oppressante. Mais c’est aussi une pièce dont l’écriture touche en plein coeur, fait rire parfois, ravive de vieux souvenirs ou de beaux démons.
Une pièce comme un coup de poing en pleine figure, de ces pièces qu’on n’oublie pas, qui restent en mémoire et que l’on garde en soi comme un grand moment artistique. Un coup de coeur en somme.
Avis : ★★★★★
La réunification des deux Corées, texte et mise en scène de Joël Pommerat
Théâtre des Amandiers, Nanterre, jusqu’au 17 février 2019
Mes autres critiques :
3 Comments
[…] #1 La réunification des deux Corées, aux Amandiers de Nanterre […]
31/12/2019 at 15:09[…] La réunification des deux Corées […]
23/02/2020 at 11:52[…] La réunification des deux Corées, de Joël Pommerat […]
23/05/2022 at 15:16