« C’est fini le travail, pourquoi travailler, personne ne devrait travailler, le travail c’est de la merde, plus jamais je ne travaillerai, donne-moi la main et partons, je veux que la pluie nous surprenne loin d’ici. »
La pièce de Sergi Belbel s’ouvre sur le toit d’une tour de bureaux parmi tant d’autres dans ce qui ressemble à une grande métropole d’aujourd’hui. Depuis l’interdiction de fumer, des salariés, sans distinction de hiérarchie, se retrouvent en secret pour griller une cigarette et discuter de tout et de rien, un peu comme on irait à la machine à café. Dans une ambiance de fin du monde, Après la Pluie suggère un moment suspendu dans le vide, entre crise existentielle et crise économique.
Après la Pluie : l’Apocalypse selon Sergi Belbel et Lilo Baur
Après la Pluie fait partie de ses pièces dont on ne sait que faire de prime abord. Faussement drôle, faussement légère, sarcastique mais également très premier degré, il faut un peu de temps pour réussir à faire le tri avec les émotions, les suggestions et les orientations proposées par l’auteur et la metteure en scène.
Dans cette version de Lilo Baur, l’accent est, selon moi, mis sur ce sentiment de rupture entre deux mondes. Entre celui qui interdit et celui qui résiste, entre celui qui s’effondre et celui qui doit renaître, entre celui qui étouffe et celui qui se libère. Il y a dans chacun des personnages une vraie tension (sexuelle, existentielle, affective, professionnelle…) qui ne demande qu’à rompre. Sur le toit du monde duquel il est si facile de se jeter pour mettre fin à ces douleurs-là, Lilo Baur propose, grâce une scénographie particulièrement superbe, un plongeoir pour se jeter dans l’après. Après la pluie… on ne sait pas ce qu’il y aura, mais on espère le beau temps.
Un texte ironique ? L’entreprise avant la pluie
Ce qui marque dans Après la pluie, c’est bien la tonalité du texte. Ironique mais pas tant que cela, drôle mais pas tant que cela, il y a beaucoup de nuances, parfois imperceptibles, qui mettent le spectateur dans cette même situation de tension. Une femme doit-elle être un homme pour réussir ? Les homosexuels sont-ils si bien tolérés dans l’open space ? Doit-on vraiment cacher ses ambitions ? Ses craintes ? Ses pensées les plus profondes, bref, quelle limite entre le partage et l’exhibition pour ces gens qui ne se sont pas choisis et qui doivent cohabiter, le tout avec un ordre hiérarchique quasi-paternaliste ? Dieu merci, toutes les entreprises ne sont pas/plus comme ça mais il en reste encore beaucoup : la pluie n’est pas tombée partout. C’est peut-être ce qui m’a le plus dérangée : quiconque a déjà mis les pieds dans un vieux grand groupe reconnaîtra facilement des traits dessinés au vitriol de petites choses qui sont encore hélas parfois des réalités. Drôle Après la pluie ? A n’en point douter, mais j’ai beaucoup ri jaune.
Comme à chaque fois, la pièce est portée par une troupe très juste : Sébastien Pouderoux est magnifique en informaticien introverti, Nâzim Boudjenah hilarant en coursier obsédé ou encore Anna Cervinka et Rebecca Marder magnifiquement absurdes en secrétaires soumises. On regrettera cependant un texte parfois trop opaque, aux limites du fantastique, et donc un peu difficile d’accès par l’interprétation faussement légère des comédiens.
Après la pluie est une pièce drôle et dérangeante, à la scénographie somptueuse, qui pique là où il faut mais sans toujours donner les codes. Un moment étonnant !
★★★
Après la Pluie, Comédie-Française, jusqu’au 7 janvier 2018
Mes autres critiques :
Pièces de la Comédie Française
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2 Comments
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05/02/2018 at 22:38[…] Après la pluie […]
10/05/2018 at 21:49